J’ai débuté en 2023 une nouvelle série de dessins. J’espère accumuler les portraits de modèles différents pour aboutir à une suite de représentations, une mythologie des âmes au travers de la représentation des corps. Je suis fascinée par ce que le corps est capable d’imprimer, de retenir de nos expériences passées. C’est comme si nous avions tous une corporéité métaphysique, une mémoire du corps qui va au-delà de nos souvenirs conscients. En enchainant ces portraits j’oscille entre étude des corps et étude des âmes. Très prosaïquement, je pars de photos proposées par les modèles, que je dessine ensuite. Je m’attache à représenter la magie de chacun de ces corps pour révéler, hausser et même exhausser les âmes.

Nous avons tous et toutes nos parts d’ombres. J’ai donc décidé de dessiner des nus en noir et blanc et d’accentuer les jeux de lumière et d’ombres. Les visages ne m’intéressent pas beaucoup, certains dessins ressemblent à des Nudes, des selfies sans tête. Alors on s’attache à observer la singularité du corps, les émotions qu’il exprime lorsque le visage est absent. Je travaille aussi avec différentes épaisseurs de traits, j’enchaine rapidement les couches afin de produire cet amoncellement de vécus intérieurs, à l’image de ce que chacun peut vivre dans son existence. Ça m’évoque aussi les circonvolutions de la pensée, le grand concert qui peut se produire à l’intérieur de chacun. C’est un peu comme une radiographie. Si l’on regarde les mains ainsi représentées, elles sont longues, décharnées, griffues telles des mains de sorcières. Elles sont la pour souligner le caractère magique et puissant des modèles que je choisis.

Il me faut des photos. Des grands corps, des plus petits, qu’importent l’âge, la minceur ou non. Au contraire, je ne recherche aucun canon de mode, simplement des personnes telles qu’elles sont. J’attends de chaque modèle qu’il choisisse sa pose, maîtrise sa proposition, et donc sa posture et donc son image. J’aime l’idée de donner du pouvoir au modèle. Et en même temps, je demande ensuite qu’il m’abandonne sa photo, anonymement en quelque sorte puisque de toute façon je ne m’attache pas aux visages dans cette démarche. C’est un va-et-vient entre contrôle et lâcher prise.